Trente deux. Ton soutien gorge par dessus les moulins.

Evidemment en ces temps de manifestations, d'agiornamento, de descendre dans la rue, tu vas croire avec ce titre, lecteur, qu'il est question de remonter des barricades, de dérouler des banderolles, de crier fort pour briser ses chaînes et de piquer tes sous-vêtements au sommet d'un manche à balais comme l'ont fait nos mères. Tu pourrais avoir raison lecteur. Tu pourrais. Il n'est gravé nulle part, qu'en réponse aux atteintes violentes aux droits des femmes ou à la simple égalité des droits qui se font jour partout, même ici, brrrr, tu ne feras pas ton coming out de féministe. Mais en fait non, pas aujourd'hui. Aujourd'hui, tu veux juste te désoler légèrement. Tu sais que ce blog ne saurait vraiment développer une pensée, parfois il esquisse une opinio-nion, mais ce sera le maximum. Tu sais qu'on est ici toi et toi, parce que c'est bon d'être léger. C'est bon de lire léger, c'est bon d'écrire futile.

Si tu vis sur la même planète que toi, tu as remarqué que c'est Saint Valentin, fête des trucs rouges, fête des soutien-gorge, peut-être même fête des sous-vêtements. C'est inoui, la quantité d'affiches qui balancent du balconnet cette semaine. Comme si c'était la saison. Tu veux dire la saison de se ballader quasi torse nu, quoi. Après le soutien-gorge n'a pas de saison, c'est entendu. Mais elles te font froid toutes ces pépés 95D sur 38 kilos de cage thoracique décharnée. Ton soutif donc. Si tu es une lectrice, tu achètes des soutien-gorge, tu ne connais personne, même parmi les plus décroissantes des bobos, qui se les fabrique elles-même, dans des boutiques étudiées pour. Eventuellement tu as décidé de ne plus en porter, mais la plupart du temps, tu ne tiens pas la résolution très longtemps. Les résolutions.. Jusqu'ici dans l'ensemble c'était une mission relativement agréable, moins pénible que d'acheter un maillot de bain, moins réjouissante que d'acheter des chaussures, encore que ça puisse se discuter. Par exemple, en cas de projet hot, ou en cas de méga solde. En cas de méga solde pour projet hot, c'est même formidable. 

Tu peux également être au top de la motivation si les courses se déroulent loin de chez toi, quand tu es en vacances ou que ton travail t'envoie te ballader dans les Etats Unis d'Amérique et que tu entames une virée dans le sein des seins (léger on a dit) de la dentelle machine, le temple du satin satiné, de la bretelle, du tu-tulle, du bonnet rembourré, celui qui fait des défilés qui font plus d'audience qu'une coupe du monde de foot et la météo réunis. Tu vois ? Mais si. Bon, c'est pas pour l'audience de ce glog, s'en fout, tu vois Victoria Secret. Le temple en question, c'est tout rose de l'extérieur avec des vitrines jusqu'au ciel, dans lesquelles on ne voit rien. Rien rien rien. Sont pudiques quoi. VEndent des montagnes de transparence, d'échancrures et de pigeonnage, mais sont pudique de dehors. Comme tu sais ce qu'il y a à l'intérieur, tu rentres à l'intérieur et te voilà partie à palper des bonnets. Tu as déjà remarqué que plus de la majorité des bonnets te semblent pouvoir accueillir des nouveaux-nés plutôt que des seins, mais tu n'as pas d'apriori, tu te dis que dans 1400 mètres carrés de dentelle, y aura des trucs pour les femmes, ou enfin les gens qui ont des seins, comme toi quoi.

Comme tu es une personne qui gère le renouvellement de stock de dentelle avec une raisonnable régularité (par exemple plus raisonnable que pour le stock de chaussures, et moins raisonnable que le stock de maillot de bain, tu suis ?), tu te souviens d'une fois sur l'autre de ta taille. Globalement, on sait que femme varie mais enfin on peut parier quand même sur une quasi permanence d'une fois sur l'autre, tu as rarement une grosse surprise, et le cas échéant, tu t'en es rendue compte avant d'arriver au magasin. Bref. Sauf qu'aux Etats Unis, ça ne se mesure pas pareil, comme la température et la longueur et le poids et les pieds, les seins comptent pas pareil en taille.

Donc quand tu as trouvé un chouette soutien gorge des USA fabriqué en Chine qui te plaît, tu attrapes celui qui te semble être à la bonne taille, pas le porte-bébé, et tu t'approches de la vendeuse, qui range des piles de strings plus hautes que toi. Elle est suréquipée comme vendeuse, elle a une oreillette et un micro comme Madonna, elle a une tablette, elle a un sac banane avec des carnets et des stylos dedans, elle a un ruban autour du cou, tu vérifies si elle a des patins à roulettes ou un tazer mais non. Bon, poliment, tu lui demandes si la taille 34 correspond à ta taille à toi (ben non, toi tu vas l'écrire et toi tu vas pas vérifier, on s'en fout). Elle se tourne vers toi avec la bouche qui sourit mais pas les yeux, prend un air à la fois souriant et ennuyé (vu qu'elle est interrompue dans l'empilage des strings de ta faute) ne répond pas à ta question comme si tu montrais des signes de débilité légère, et là au milieu du magasin qui braille Beyonce et brasse des dizaines de gens, t'intime l'ordre de lever les bras en croix, comme si on avait gardé des seins ensemble. Tu t'exécutes, et t'interroges sur l'obeïssance en milieu consommatoire et te retrouves dans un corps à corps aussi brusque qu'innattendu avec Kimberley (on sait son prénom grâce à cette etiquette épinglée, tu ne lui a pas demandé son prénom, tu sais déjà qu'il ne se passera rien avec Kim, c'est trop mal parti entre vous) qui passe son ruban dans ton dos, le referme entre tes deux seins, et proclame d'un air mi-triomphant (dans la bulle de ses pensées, "je le savais qu'elle était demi-débile"), mi ennuyé, mais toujours avec le sourire, articule comme si tu étais sourde en plus d'être super débile et plate. Thirty Two. En détachant bien les syllabes.

Bon ben ok, teurtitou, on va pas non plus faire un communiqué de presse. Maintenant Kimberley, tu raboules le teurtitou, et dans toutes les couleurs, et puis on va tout de suite rompre toi et moi. Ha. Mais Kim ne se laisse pas faire comme ça, d'abord, elle écrit teurtytou sur son petit carnet, pour pas oublier, puis elle te donne un exemplaire, pour pas que t'oublies non plus. Puis, elle t'explique que "let me tchèque", mais ses yeux qui ne sourient pas te font clairement comprendre que la niche de marché que tu représentes ce jour, n'est pas assez profitable et qu'un miracle aura lieu, ou pas, mais qu'un miracle doit avoir lieu pour qu'une taille aussi ridicule soit vendue, here. D'ailleurs elle revient, avec sa bouche qui sourit et ses yeux qui te méprisent. Pas de miracle. Tu te demandes si ses yeux ne te disent pas aussi, "passe d'abord te faire implanter des seins sur la Cinquième et puis reviens après on pourra peut-être discuter". Mais peut-être que tu exagères. Peut-être que c'est juste que sa pile de string lui manque.

Quelques mois après, tu avises une boutique de la concurrence dans ta bonne ville à toi, tu entres en confiance. Une gentille vendeuse plutôt plus avenante te dit bonjour tout ça. Tu la recroises et devine, la voilà qui brandit un mètre ruban et de te demande si tu connais ta taille. Joie de la mondialisation, joie des "mi-too", joie de l'expérience client uniformisée.

Oui tu lui dit que oui. Thirty two.